Il est toujours sain d'interroger le sens d'une appartenance, une sorte d'examen périodique pour mesurer l’effective vitalité de cette appartenance et sa résonance dans la marche du monde.
L'appartenance à Jerba cristallise de toutes parts des visions que tu as su mon cher Walid défricher, tant sur le plan anthropologique que sur le plan proprement culturel. Pour autant, je crois qu'il est important d'insister davantage sur la notion de modèle pour signifier l’idée selon laquelle tous les comportements, réflexes et réflexions des jerbiens d'aujourd'hui procède d'un lent et lointain agencement harmonieux au confluent de l'insularité, de la berbérité et de l'Ibadisme. L'impératif de répondre à des défis de plus en plus contraignants (se défendre sur un territoire plat, prévenir les périodes de disettes agricoles, cultiver l'autosubsistance alimentaire pour ne pas dépendre du continent) a poussé les jerbiens depuis le 8 éme siècle à développer un modèle global dans leur rapport au monde qui historiquement a pris la forme d’une infatigable intelligence innovante.
L’institution du houche est un merveilleux exemple. L’Ibadisme a imprimé dans la pierre ses valeurs systémiques de solidarité, d’égalité et d’indépendance. L’aménagement du houche à Djerba a été totalement conçu pour rendre effective ces valeurs. La cour intérieure permet les rassemblements lors des grands évènements, l’unicité de l’espace de cuisine instaure une culture de partage et d’égalitarisme entre les membres d’une même famille, par delà les différences sociales. L’indépendance de chaque cellule familiale est garantie par la disposition d’appartements qui forment la cour du patio.
Quid aujourd’hui de la vitalité de cette intelligence innovante, legs précieux de plusieurs siècles ?
Si l’on mesure la vitalité d’un modèle culturel a l’aune de sa capacité à fabriquer des alternatives et des réponses positives aux défis de son temps, on peut sérieusement se poser la question de savoir de quoi est encore capable le modèle jerbien pour proposer des solutions positives aux maux de notre temps. Comment ne pas penser, de prime à bord, à la figure du prince héritier, qui n’ayant pas ou mal hérité des valeurs qui firent la fortune de ces aïeux est incapable de perpétuer l’élan initial à l’origine du royaume et, est condamné à dilapider les richesses péniblement acquises par ces mêmes aïeux ?
Les émigrés de Paris et de Tunis tant que les jerbiens de l’île sont traversés par des défis qui, il faut le dire, tendent à déstructurer ce modèle. Sur tous les fronts, leurs choix ne sont plus dictés par une quelconque intelligence innovante cherchant le meilleur dans une interaction fructueuse et non moins exigeante, mais par un instinct de conservation irascible et une inquiétude de sauver les apparences sans parler des négateurs qui sous couvert d’universalisme nieront ou confineront à une acception purement folklorique les traits distinctifs de leur culture jerbienne.
Je prendrais trois champs pour illustrer les formes actuelles de dégénérescence du modèle jerbien ; La question du mariage, celle de leur place économique et sociale et enfin celle de leur rapport à la société et plus largement au bien commun.
A suivre…
1 commentaire:
Salam à toi cher ami;
Je suis très content de lire des réactions par rapport à l'article de Walid. L'article est très intéressant et j'ai hâte de lire la suite. Je suis d'accord avec la totalité de l'analyse et mon commentaire se situe dans la suite des idées de l'auteur.
Je pense que la symbiose homme-environnement dans le cas de Djerba porte bien les particularités historiques, climatiques, et humaines (anthropologiques) du lieu. C'est indéniable. Cependant je pense qu'il serait dommage de penser l'avenir en se cantonnant aux limites de ce lieu précis. C'est pour dire que nous devons chercher les solutions à nos problèmes en interagissant avec le monde et ne pas se laisser tenter par le leurre du puritanisme particulariste. Je pense que le défi "méthodologique" dans toute entreprise semblable c'est de savoir les limites de son particularisme dans l'universel qui est en soi. J'attends la suite avec impatience. Chokran jazilan wa doumtoum fi 3ayn Erra7man.
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